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Elle était aussi mortifiée que le liquide souillant ses cheveux et son visage était écarlate.

Tranchant profondément avec sa peau diaphane et couvrant les tâches de rousseurs clairsemant d'ordinaire ses traits ciselés, de son front trop prononcé à ses pommettes protubérantes, l'épaisse concoction dégoulinait, tombant petit à petit sur le linoléum grinçant du couloir.

Atticus pouvait les entendre rire, quand bien même elle avait fermé les yeux lorsque la vague carmin avait menacé de brouiller son regard, inondant ses paupières striées de veines. Elle savait qu'elles étaient là, en cercle autour de leur victime, petites garces hilares se bousculant pour mieux voir le monstre qu'elles avaient décidé d'humilier. « Pigs blood, perfect for her, perfect for the white trash » qu'elles balançaient, ayant du mal à articuler tant elles étaient hilares « It made her clothes better though, at least you can't tell it's from the Salvation Army. » Et plantée là, la gamine tremblait, les mains serrées, poing près à frapper, ses articulations rendues blanches par la pression qu'elle imposait. Elle les haïssait. Viscéralement. Du haut de ses douze ans, elle les haïssait avec une violence incommensurable, une intensité incroyable.

Elle était trop maigre, trop enfantine encore, dépassée d'une demi-tête par la plupart de ses camarades. L'avorton de la portée, la cible idéale avec ses genoux cagneux et ses yeux trop larges pour son visage, ses cheveux emmêlés, ses vêtements rapiécés. Elle n'était rien du tout dans la chaîne alimentaire, nulle part sur l'échelle sociale. Là où toutes les merdeuses avaient déjà de quoi créer l'illusion de courbes adolescentes, Atticus était ridiculement menue... Lente en sport, lente en cours, isolée, bizarre d'une façon générale, incapable de s'adapter parce qu'au fond, elle n'essayait même plus. Personne, absolument personne, ne voulait traîner avec la fille du boucher, terrifiant porc suant qui venait parfois la chercher sans retirer son tablier et dont la maison dilapidée et miséreuse, taudis qu'Atticus devait considérer comme un refuge et non une prison derrière le lambris à la peinture effritée, était la source de bon nombre de rumeurs sordides.

Oh, elle avait conscience d'être la pièce la moins utile du puzzle, ce n'était pas le souci... Elle voulait juste la paix mais vraisemblablement, personne n'avait l'intention de la laisser seule, en dépit de sa solitude. Ironie du sort, sans doute. Pour la énième fois, elle avait été attaquée, pour la énième fois, elle subissait. Écarlate, le liquide passa sa bouche. Sucré. Trop sucré, à en rendre quelqu'un malade. Probablement du sirop de maïs hâtivement coloré avant d'être balancé sur elle entre deux cours. Elle en avait lâché presque toutes ses affaires, ne tenant plus qu'un livre d'histoire à la main. Sa trousse éventrée dans la chute avait envoyé des crayons parfois et des gouttes vermeilles s'écrasaient à présent sur les feuilles rendues sauvage par l'ouverture de son classeur. Mais elle avait encore son livre. Et sa rage au ventre. Elle tremblait, elle tremblait si fort...

Ouvrant les yeux à travers le rouge, balayant son visage d'un revers de main, elle se jeta sur la plus proche, attrapant la natte qui pendait sur le côté de son crâne et tirant de toutes ses forces tandis qu'elle abattait un coup, toujours armée du manuel. Un 'thonk' résonna dans le couloir, dans les rires et puis elle propulsa la merdeuse contre les casiers, le claquement métallique faisant taire tout le monde. Tout le monde sauf elle. Atticus grognait, comme un animal, férale, sauvage, chat enragé frappant encore, avec la tranche d'un livre à défaut d'avoir des griffes. Elle avait du sirop dans les yeux à présent et la substance la faisait pleurer, piquant sa cornée mais elle s'en moquait, elle grognait, criait, manifestations gutturales lui échappant sans grâce, quittant son corps dégingandé.

Elle pouvait imaginer les airs de scènes de crime que devait avoir se couloir. Avec le rouge, partout et puis... et puis le sang qu'elle venait de faire gicler du nez de la merdeuse. Tiède, il avait atteint son visage, sa main aussi puisqu'elle continuait à taper dedans, furieuse et rendue cruelle par plus vicieux qu'elle, par la foule, par les regards, par la hiérarchie scolaire tacite qui avait fait d'elle une pestiférée des années plus tôt...

Il fallut qu'on l'arrache pour qu'elle cesse. Qu'on la tire, la pinçant assez fort pour la faire gémir et marquer sa peau, pour qu'elle lâche son bourreau devenu victime. Et dans la seconde, elle se retrouva traînée dans le couloir, une poigne ferme tenant son bras et tirant, tirant encore jusqu'à la balancer dans une pièce dont la lumière aurait pu donner à n'importe qui l'impression qu'elle, gosse enragée, n'était rien d'autre que la mort personnifiée. « It's just corn sirup and food coloring, it's okay... » lança une voix familière. Infirmière slash assistante sociale slash bonne à recoller les morceaux dans cette école trop petite, dans cette ville trop petite. Elle pensait sans doute la rassurer, la calmer, comme si c'était uniquement ça, le problème. Comme si la matière dégueulasse imbibant ses cheveux noirs étaient le seul souci. Comme si savoir que son humiliation était nettoyable avec de l'eau claire allait l'apaiser. Elle grogna à nouveau, rire nasal dédaigneux. Elle allait prendre plus cher que les autres, elle le sentait venir, alors autant en profiter. Rêvant un instant d'avoir volé un couteau de son père pour remplacer le livre, son arme de fortune, elle chassa l'idée bien vite, mordant sa joue à s'en arracher un couinement.

« There's blood too » siffla-t-elle, relevant la tête et adressant un regard digne de Kubric à l'infirmière, un faible rictus retroussant sa lèvre fendue pendant l'esclandre, coup renvoyé par l'autre idiote, avant d'ajouter, trop bas pour qu'on l'entende ou que l'on discerne autre chose qu'un faible marmonnement : « and it's not mine. »

traduction des dialogues:

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Un faible sourire, presque timide, retroussa ses lèvres. Elle pouvait voir le soleil s'infiltrer dans la pièce et venir caresser ses cheveux noirs, halo derrière lui, vision glorieuse. Elle était groggy, un peu désorientée peut-être mais petit à petit, son visage s'illumina alors qu'elle l'embrassait de son regard sombre, possessive et protectrice. Oh, elle avait le souffle court et les joues rouges, elle avait des mèches brunes collées aux tempes et au front... Elle devait sembler défaite, mais elle s'en fichait bien. Elle était à Balthazar et Balthazar était à elle, rien d'autre ne comptait, pas même le sang maculant cette première fois. Elle avait un peu l'impression d'être ivre, avalant des goulées d'air par la bouche pour ne pas avoir l'impression d'étouffer. Tous ses sens étaient en éveil et pourtant... pourtant elle était calme, en surface du moins, calme parce qu'il était là, parce qu'ils étaient ensemble, parce qu'ils partageaient quelque chose de plus grand qu'eux, de plus fort. C'était tabou, interdit, dans la sacro-sainte Amérique profonde et ils avaient bravé les règles pour ça... Elle était à lui et il était à elle et personne, personne n'allait pouvoir se foutre au milieu.

Dire qu'en plus de ça, elle avait la veille perdu sa virginité avec lui.

Un bruit la rappela à l'ordre et la fit sursauter, mais avant qu'elle ne puisse se retourner, on la plaqua au soleil, une douleur violente se propageant dans son corps. Elle s'était sans doute déboîté l'épaule en tirant le premier coup, n'ayant pas anticipé le retour de l'arme. Contrairement à Balthazar, elle n'était pas habituée, elle... Elle avait juste tiré dans le tas, sans viser, le couvrant parce qu'il était ce qu'elle avait de plus précieux, le protégeant parce que c'était le plus important. Quelqu'un venait de la tacler ceci dit, plaquant un genou entre ses omoplates pour la maintenir au sol et dans la chute, elle fut persuadée d'entendre ses côtes craquer. Trop frêle pour tenir sous le poids d'un flic. Trop frêle pour se retourner et lui coller un coup dans la mâchoire avec la crosse de l'arme. Il s'acharnait d'ailleurs, cognant son poignet pour la faire lâcher tandis qu'il appuyait encore plus fort, la poussant à appuyer sa joue dans la petite flaque écarlate qui tâchait le couloir. Non lui, un corps gisait, sans vie, tandis qu'au fond de la classe dont elle avait ouvert la porte avant de chercher Balthazar du regard, deux élèves se cachaient sous un bureau.

Ils étaient entrés là sans plus réfléchir, fonçant dans le tas et voulant détruire le microcosme comme on bousille un château de carte. Ils avaient été une tornade, le chaos s'abattant sur ce trou infernal... La tirant par les cheveux pour la redresser, le policier dont c'était sûrement la pire journée depuis le début de sa carrière la plaqua momentanément contre le mur pour la canalyser. Sans même le commander, sans même le réaliser, elle avait commencé à se débattre comme un beau diable à la seconde où son visage avait touché l'hémoglobine impur de la trainée qu'elle avait abattu, refusant d'être mélangée à ça. Elle appartenait à Balthazar après tout, elle ne pouvait pas se salir de la sorte. « He's under control, we've got him, he shot Porter before we could get to him though. Officer down, I repeat, officer down. The maniac is handled » cracha le talkie-walkie, envoyant la nouvelle à toutes les voitures, aux pompiers, au bordel qu'ils avaient provoqué. Cela déchaîna alors l'écho de la tempête, toute la hargne qu'il restait à Atticus. D'une voix d'outre tombe, elle siffla, mauvaise, s'agitant à s'en faire mal pour tenter de se libérer et retourner vers le jeune homme qui, plus loin dans le couloir, devait subir les autres policiers : « Leave him, leave him, he's mine, you can't, you can't... You foul useless pieces of shit, leave him... »

traduction des dialogues:

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« I worked at the county prison, stuff got bad when the world went to shit... » sa voix craqua et elle força un sourire désolé, comme pour justifier l'aspérité dans ses propos. C'était un mensonge éhonté mais elle avait besoin de sembler choquée, touchée, plutôt qu'affabulatrice. Elle avait faim, elle était épuisée, elle pouvait sentir son sang gratter dans ses veines et elle voulait y enfoncer ses ongles pour faire cesser les démangeaisons... Devant elle, le militaire la toisait en silence. Il l'avait trouvé, ou du moins il croyait l'avoir trouvé. Après avoir déambulé dans la nature, la brune s'était rapprochée du campement militaire en réalisant qu'elle n'allait pas tenir sans dormir et qu'elle ne pouvait pas dormir sans quelqu'un pour monter la garde. Atticus fila un coup de rangers dans le cailloux le plus proche et releva finalement la tête pour l'observer à tour, se demandait si elle allait inspirer confiance ou pitié. N'importe quoi tant qu'ils lui filaient à boire, à manger, de quoi se recroqueviller dans un coin, de quoi fermer les yeux.

Elle n'avait pas d'autre choix que de mentir et espérer qu'il ne la reconnaisse pas. Son visage avait été moins diffusé que celui de Balthazar, sans doute parce qu'on ne voyait en elle qu'une suiveuse, qu'une adepte et qu'il valait mieux parler du monstre, du vrai, du fou... Son cœur la pinça violemment en pensant à lui mais bien vite, elle réalisa que le mec en kaki devant elle pouvait la connaître en dépit de tout. 'School weirdo turned prom queen killer' avaient titré les magazines, les journaux, enchaînant avec les détails, puis le procès et puis la révélation. 'Criminal teenager pregnant with mass murderer's spawn' s'étaient-ils arrachés, balançant la nouvelle comme une poignée de chair aux vautours avant de lui arracher l'enfant, le plaçant quelque part dans la nature, dans une famille ou dans le système, elle n'avait même pas le droit de savoir, la jetant à nouveau dans une cellule. L'histoire avait secoué l’Amérique, relançant un énième débat sur le port des armes, sur la sécurité intérieure, sur l'avortement même, soudain moins nombreux à défendre toutes les vies... Bordel qu'elle les détestait. Ils s'étaient jetés sur son histoire, leur histoire, comme sur un feuilleton, suivant chaque épisode avidement...

L'Amérique tremblait pour autre chose ceci dit, à présent.

Atticus avait saisit sa chance quand le chaos avait commencé à frapper le pays. Elle avait foncé tête baissée, filant par la première porte ouverte, quittant la prison dans la panique générale. L'anarchie teintant l'établissement carcérale à mesure que les rumeurs concernant le monde extérieur se faisaient de plus en plus difficiles à ignorer lui retirait absolument tout mérite. Elle n'avait pas eu besoin de jouer des coudes pour sortir, elle avait couru et on l'avait laissé passer, parce qu'elle n'était qu'une merdeuse à moitié sauvage lançant des esclandres à tout va et qu'avec les morts se relevant petit à petit, personne ne voulait prendre le risque de se faire mordre ou griffer par la gamine cadavérique. Non, le talent était venu après, lorsqu'elle avait réalisé qu'on la cherchait. Des gardes s'étaient lancés à la suite des détenues échappées, n'ayant rien de mieux à foutre au beau milieu de l'apocalypse... Elle s'était fait rattraper et puis avait évacuer de son système le violent coup de crosse qu'elle avait voulu coller dans la tronche des policiers ayant brutalisé Balthazar.

Brutale, à bout de souffle, elle s'était défendue jusqu'à pouvoir récupérer arme et vêtements – plus proches d'affaires normales que les sacs qu'on forçait sur les prisonnières, amas de tissu donnant l'impression qu'elle se noyait dedans – elle avait brisé la mâchoire de la gardienne et avait décampé, persuadée de pouvoir tenir seule, le temps de trouver Balthazar, le temps de trouver... leurs fils, à défaut de mettre la main sur le père.

Par intérêt, elle s'était approchée des militaires. Ils avaient de quoi manger, elle avait un uniforme, assurément ça pouvait coller... Et à présent elle se retrouvait à mentir comme une effrontée. « What's your name ? » demanda-t-il finalement, desserrant les deux et aussitôt, elle s'empressa de répondre « A... » s'arrêtant nette et se corrigeant pour donner un titre falsifié, collé à un faux nom « Agent Porter, sir »

Dans ses vêtements un peu trop ample, s'accrochant aux six balles encore présentes dans le flingue volé mais refusant de tirer, Atticus était plantée là, attendant un verdict de la part d'un inconnu qu'elle haïssait déjà pour tout ce qu'il représentait mais pour lequel elle allait forcer toute la docilité et les sourires du monde. S'il était une solution pour survivre et retrouver le tout petit garçon, le fils de Balthazar, ça en valait probablement la peine... Au loin, un grognement guttural se fit entendre et le bruissement des feuilles attira les regards vers la forêt tandis qu'un marcheur s'approchait, de la chair pendant déjà du côté gauche de son visage tandis qu'un bras lui manquait. « Get him » déclara le militaire «  And you get shelter and food until you can prove your use. »

Dardant sur lui un regard profondément sombre, elle retroussa le nez et persifla en retour « Give me something sharp then » et lorsqu'il regarda le revolver à sa taille, elle justifia sa réticence avec tout le dédain du monde, comme si elle pouvait déjà se permettre de le prendre de haut. « I'm not waisting my bullets on the dead » et déjà, sa main pointait en direction d'une hache accrochée au flanc du véhicule dont il était descendu en la trouvant. Il sembla changer d'avis, une chance sans doute pour elle, trop faible pour tuer le truc... le tuer à nouveau du moins, comme elle avait pu voir les gardes le faire, peinant encore et encore pour stopper le marcheur. « Whatever, get in ».

traduction des dialogues + titres des journaux: