SOMEBODY NEEDS TO PROTECT THESE PEOPLE.
2003 ≈ Il n'avait jamais eu la carrure d'un héros. Sa personnalité lunatique faisait qu'une bonne poignée d'individus le craignaient, avaient peur de l'approcher. Pourtant, il n'avait rien de particulièrement méchant au point de l'éviter. Il pouvait être dur, dans ses propos, parce qu'il avait cette fâcheuse habitude d'avoir un franc parler. Il était direct et ne passait pas par quatre chemins lorsqu'il souhaitait exprimer sa pensée. Il n'en voyait pas l'intérêt et trouvait ça plutôt lâche de faire de jolies tournures alors qu'on voulait simplement dire que la personne concernée n'était qu'une grosse bouse. Déjà à cette époque, le monde tournait d'une manière bien étrange. Mais ça, Desmond ne pouvait rien y faire, de là où il se trouvait. Armes en mains, casque sur le crâne et une bonne vingtaine de kilos dans le sac qu'il transportait sur le dos, il avait l'habitude de se mettre à penser durant des missions qui pouvaient s'avérer dangereuse. Il préférait penser au monde plutôt que de penser au sort qui pouvait lui tomber dessus sans crier gare. Parce qu'il avait une femme et deux petites filles, il ne voulait pas imaginer ce qu'il pourrait arriver si la Mort venait le prendre alors qu'il avait encore des moments importants à vivre. Voir ses enfants grandir, c'était une chose qui l'émerveillait. Malheureusement, avec la profession qu'il exerçait, il n'en avait pas souvent les moyens mais profitait de chaque instants où il étaient en leur compagnie pour leur montrer à quel point il les chérissait. « Papa, quand est-ce que tu reviens ? » lui demanda la cadette, plongeant son regard profond dans celui de son paternel. Desmond esquissa un sourire, léger, fin, artificiel. Lui-même ne savait pas s'il allait en revenir, de cette mission qui s'avérait plus compliquée que prévue. Mais il ne pouvait pas dire à cet ange tombé du ciel qu'il serait possible qu'elle ne le revoit jamais, qu'il allait retourner au stade de poussières et qu'il ne serait plus là pour lui conter des histoires avant de s'endormir. « Bientôt. » souffla-t-il entre ces lèvres. Il porta sa paume vers la tête de celle-ci et lui ébouriffa les cheveux. « Très bientôt ma chérie. » Avec ces simples mots, il avait balayé les doutes de sa plus jeune fille qui dessina un sourire radieux sur ces petites lèvres rosées. Elle s'accrocha à la jambe de son père pour le câliner avant qu'il ne parte, tandis que sa femme et son autre fille étaient sous le porche à faire de grands signes d'en revoir, balançant des encouragements, encore et encore, comme ils avaient l'habitude de le faire quand il savait qu'il partait en fait pour une longue durée. Il s'agenouilla puis pinça la joue de sa fille en lui souriant et en lui faisant signe de partir vers la porte d'entrée. Ce qu'elle fit, sans broncher. Il était plus facile de partir lorsqu'elle avait le dos tourné plutôt que lorsqu'elle le regardait de ces deux grands yeux innocents. 2010 ≈ Sa relation avec Evangeline était tendue. Bien plus qu'auparavant. C'était quelque chose de sérieux, et pas si anodin. Si elle pensait qu'il n'avait pas remarqué les changements qui s'étaient opérés dans leur relation parce qu'il avait cette tendance à être absent pour son travail, alors elle se trompait. Desmond avait cette capacité de discerner le vrai du faux et quand sa femme, celle à qui il avait donné son cœur sans y réfléchir à deux fois, lui mentait sans aucun scrupule, cela avait le don de l'énerver. « Desm' ! Je vais retrouver Eleanor pour son anniversaire, je reviendrai sûrement tard alors ne m'attends pas pour aller te coucher si tu es fatigué ! » Allongé sur le canapé, à regarder d'un œil distrait la télévision qui ne présentait que des programmes bas de gamme, le regard de Desmond se porta finalement vers sa femme qui enfilait ses chaussures noires et qui paraissait enjouée de la soirée qu'elle allait passer. Cela lui pesait sur le cœur et son esprit ne pouvait plus tenir ce secret qui le rendait incroyablement amer. « Tu veux dire Grant, j'suppose ? » Le militaire se redressa en s'étirant, comme si ce qu'il venait de dire n'avait aucun impact sur la conversation actuelle. Il attrapa la télécommande et éteignit la télévision qui faisait ce bruit gênant, à raconter des bêtises qu'il n'avait pas besoin d'entendre. Le monde était déjà bien abruti, et il ne souhaitait pas perdre les quelques neurones qu'il avait en regardant des émissions de télé-réalité. Ses prunelles ne se détachèrent pas pour autant de la jeune femme qui s'était arrêtée en plein milieu de son action, reposant finalement la chaussure au sol alors qu'elle souhaitait l'enfiler. Elle avait les yeux, rivés vers le carrelage blanc. Elle était courbée, la tête vers le sol et ne bougeait plus. Elle devait certainement chercher ce qu'elle devait dire, réfléchir à une manière intelligente de répondre afin de ne pas s'attirer les foudres de son mari. « Hein ? Je n'vois pas de quoi tu parles ! » dit-elle en se redressa, se mettant droite et en esquissant un sourire pour Desmond. Des lèvres étirés sous une pression malhonnête.
Il était blasé. C'était le cas de le dire. Même quand elle avait été prise la main dans le sac, elle niait toute l'histoire. Grant ? Il n'y avait soit-disant aucun individu de ce nom dans son existence. Il aurait pu débattre avec elle, lui prouver qu'il avait raison et qu'elle avait tort, qu'elle ferait mieux de se taire si elle ne voulait pas s'enfoncer encore plus dans des simulacres qui n'en valaient pas la peine. Desmond avait aimé sa femme. Il fut un temps où il était dur pour lui de parler bosser, sachant qu'il laissait une âme qu'il chérissait à la maison alors qu'il se retrouvait à l'autre bout de la planète sans aucun moyen de contact. Mais l'aimait-il toujours ? C'était une interrogation qui revenait souvent dans son esprit et qui le perturbait. « Écoute, tu fais ce que tu veux de ta vie. » Il se leva et se dirigea vers sa veste en cuir qui était accrochée au porte-manteaux. Il l'enfila et se regarda rapidement dans la glace avant de se tourner vers son épouse avant d'afficher ce qui pouvait presque être décrit comme un sourire. « Mais j'ai quand même bien envie de voir à quoi ressemble ce Grant. » dit-il comme si c'était normal de voir l'amant de sa femme sans vouloir le buter. Il tenait à Evangeline. Après autant d'années de vie commune, il la portait un minimum de son cœur et ne souhaitait que son bonheur. Alors oui, il voulait le voir, ce Grant. Pour l'analyser. Le juger. Et dire si oui ou non il était approprié pour elle.
2014 ≈ « Nous avons perdu le contact avec les autres continents de la planète. » entendaient-ils dans l'une des radios de Fort Benning. Desmond, Evangeline, leurs deux filles, étaient logés dans la base depuis déjà trois ans. C'était une énorme étendue, avec de nombreuses habitations pour les familles des militaires. La situation mondiale était en crise. On affrontait l'apocalypse et elle n'allait certainement pas tarder à franchir les frontières des États-Unis d'Amérique, si ce n'était déjà fait. On frappa à la porte et Desmond, d'un pas lourd, s'en alla vers celle-ci afin de voir qui venait leur rendre visite. Intérieurement, il le savait déjà, mais il n'allait pas laisser l'individu sur le pas de la porte, à attendre qu'on lui ouvre. « Grant. » lança-t-il sur un ton amical. Il ouvrit davantage la porte afin de le laisser rentrer et s'affala sur le canapé qui n'était pas très loin. Il soupira, inlassablement, attendant certainement qu'on lui demande ce qui n'allait pas. Mais Evangeline, comme Desmond, restaient en face de lui à le regarder sans ciller, sans bouger. Néanmoins, quelqu'un devait briser ce silence. « Vous avez entendu, on a perdu le contact avec le reste du monde ? » Il semblait abattu et c'est dans un soupire intrigué qu'il reprit. « Ça veut dire qu'on a perdu contact avec l'Europe. Et que mes parents sont peut-être morts à l'heure qu'il est. » Les deux propriétaires de la maison se redressèrent, se rendant compte de l'ampleur de la chose. Ils n'avaient pas vu ça sous cet angle, considérant le fait qu'aucun des deux n'avait de la famille à l'étranger. Evangeline observa Desmond d'un œil attentif puis se dirigea vers Grant.
Grant était un chic type. Tout comme Desmond, c'était un militaire qui séjournait à Fort Benning depuis cependant plus longtemps que son coéquipier. Desm était le supérieur de Grant et n'hésitait pas à le lui rappeler. Pas pour le remettre à sa place, mais simplement pour se vanter du fait que lui était colonel, et que Grant ne l'était pas. Ce dernier s'en fichait un peu, cela ne l'importait pas et d'ailleurs, il en était de même pour Desmond qui n'avait jamais recherché le pouvoir ou la reconnaissance. Grant avait beau être l'amant de sa femme, Desmond avait dépassé le stade de la colère. L'amour, c'était quelque chose de compliqué. Parce qu'Evangeline affirmait aimer les deux hommes, elle ne se résignait pas à abandonner l'un sans abandonner l'autre. Parce qu'il était possible de partager son cœur, elle ne se voyait pas le donner à un seul de ces deux militaires seulement. Elle aimait les deux et voulait les garder auprès d'elle autant qu'elle le pouvait. Elle voulait les protéger. C'était une situation bien étrange, mais ils avaient fini par s'y faire. Evan, tout comme Desmond, ne souhaitait pas divorcer. Pour leurs deux filles. Qui ne voyaient Grant que comme le meilleur ami de papa.
Ils étaient partis. Evan. Sa famille. Et même Grant. Tout le monde. Le spectacle qui se tenait sous ses yeux n'était qu'horreur et abomination. Des rôdeurs s'étaient infiltrés dans Fort Benning. Il y avait beaucoup trop de cadavres. Beaucoup trop d'individus qui n'allaient pas tarder à être contaminé si on ne leur coupait pas le membre affecté. En espérant que le virus n'ait pas eu le temps de s'immiscer dans tout le système et tous les réseaux sanguins. Il y en avait énormément. Des rôdeurs. Qui mâchouillaient des être-vivants. Desmond ainsi que le reste des hommes qui n'avaient pas déserté prirent toutes les armes qu'ils avaient sur eux et se dirigèrent vers l'armurerie. Qui s'avéra bien vide. Les lâches avaient fui et s'étaient servi lors de l'attaque, préférant partir que de protéger la base. Sa femme. Ses filles. Grant. Par chance, il n'avait vu aucun de leurs corps sur le sol rougeâtre.
« Mon colonel, qu'est-ce que l'on fait ? » Il était irrité. Desmond plantait inlassablement son couteau dans les crânes qui gisaient par terre. Il n'en avait aucune idée de ce qu'il devait se passer ensuite, il n'était pas devin et n'avait tout bonnement aucun pouvoir. Alors il se contentait de briser des crânes et réprimandait ses hommes quand il les voyait user de leurs armes. Les balles, c'était précieux et ils ne devaient pas les gâcher pour une tâche aussi facile. Le couteau, la machette. N'importe quel objet tranchant faisait l'affaire, contre ses bestioles. Un coup dans le cerveau, et elles s'endormaient pour de bon. « Mon colonel ! » Il se stoppa net dans ses mouvements et lança un regard noir vers ses sous-fifres. Ces derniers se figèrent, déglutirent. Ils se lancèrent des regards, comme s'ils communiquaient. Desmond attendait, bêtement, en faisait tournoyer sa lame entre ses doigts. « Monsieur l'Officier a disparu et comme vous le savez, notre Général est mort à Atlanta... »
« Mais qu'est ce qu'on s'en fout, sérieusement. » Il reporta son attention sur les victimes, les rôdeurs, tout ceux au sol. « On n'a pas que ça à faire de s'occuper des déserteurs, c'est plus notre problème. Par contre, ces gens-là » dit-il dans un signe de tête. « Ils ont peut-être besoin de vous. Regardez bien s'ils se sont fait mordre. Si c'est le cas... » Il chercha du regard quelqu'un. « Prenez ce médecin avec vous. Il doit bien avoir les capacités requises pour savoir si l'gars est infecté ? Pour savoir si le virus a eu le temps de se propager dans le système depuis la morsure ? Si la personne peut-être sauvée, sauvez-là. Coupez-lui le bras, la jambe, n'importe quoi. Sinon... » Il ne termina pas sa phrase et se contenta de soutenir les regards de ses collègues.
« A vos ordres, Officier. »