C'est fou comme la vie peut prendre des tournants étranges. En regardant le passé on s'aperçoit que la pomme est tombée très loin de l'arbre contrairement à ce que diraient certains. Il n'est pas toujours évident d'imaginer ce que l'on serait devenu si on avait emprunté un chemin différent. Si ... un simple mot de deux lettres qui peut tout changer, modifiant votre trajectoire à un point tel que l'on arrive difficilement parfois à retrouver ses origines. Et pourtant, dans un sens, c'est ce que tous tôt ou tard nous cherchons. Malheureusement pour la plupart d'entre nous, cela reste et restera une énigme de plus.
« Personne ne t'oblige à choisir un camp ma chérie ». C'est malheureusement ce qui était en train de se passer, je n'avais peut-être que 14 ans à l'époque mais je n'étais pas une ignare pour autant. Beaucoup vous l'aurait-dit. Je me sentais tiraillée, comme si on exigeait de moi que je me coupe en deux, abandonnant la deuxième partie derrière moi. Mon regard déboussolé allait de droite à gauche, dévisageant à chaque fois mes parents impatients d'entendre ma réponse. Je ne savais plus où donner de la tête et je sentais les larmes venir se loger aux bords de mes yeux. Non je ne devais pas pleurer car même à cet âge là j'avais compris que la vie était loin d'être une partie de plaisirs, que tout n'était pas fait de joie et d'amusements. Ça aurait été tellement plus simple autrement. « Alors ma puce que décides-tu ? », me demanda mon père en posant une main sur mon épaule. Je me retournai alors vers lui, oubliant l'espace d'un instant l'angoisse de ma mère et les deux agents des services sociaux présents dans notre salon. J'aimais beaucoup mon père, c'était un vrai modèle et à l'époque je ne rêvais que d'une chose, c'était de lui ressembler. Ça c'était à l'époque ... Mon esprit bouillonnait et mon cœur battait à rompre ma poitrine. J'avais très envie de dire oui à mon père, de lui dire que je partais avec lui mais lorsque je pensais à ma mère, ma pauvre mère, cela l'aurait anéanti. Elle était très fragile, ce dont j'avais pris conscience rapidement lors des disputes incessantes entre mes parents. Quitter la maison serait alors revenu à lui signer son arrêt de mort et je ne pouvais avoir une telle chose sur la conscience. Quand je vous disais que j'étais mûr pour mon âge. Comment croire en l'amour après ça ? Comment croire que deux personnes qui semblaient pourtant s'aimer d'un amour passionnel en arrivent à se séparer et à pousser leur unique fille à vivre chez l'un d'entre eux ? La pression d'une réponse se faisait de plus en plus imposante. Tout le monde attendait que je dise quelque chose. Moi la première je voulais mettre fin à cette horrible situation mais aucun mot n'arrivait à sortir de ma bouche tant le dilemme était cornélien. Une vague de sanglot se lisait sur mes lèvres tremblantes, une réponse essayait de sortir et je luttais de tout mon être pour l'éjecter au plus vite avant que je n'implose littéralement. Après plusieurs secondes d'acharnement et de torture, je parvenais enfin à faire une phrase. « Maman … je choisis Maman … désolée Papa ». Le flot de tristesse que j'avais réussi à retenir jusqu'à maintenant se déversa sur mon visage comme si le barrage que j'avais mis en place durant tout ce temps avait soudainement lâché. Meurtrie au plus profond de mes entrailles, je ne pus rester plus longtemps devant mon père qui, je suis sûr, avait lui aussi envie de pleurer et c'est pourquoi je me mis à courir droit vers ma chambre n'omettant pas de claquer d'un coup sec la porte. J'avais vraiment besoin d'être seul. Ils avaient eu leur réponse, maintenant ils devaient me laisser tranquille ; ce qu'ils firent d'ailleurs. Plus j'y pensais et plus je me disais que j'avais fait le bon choix. Après tout ce n'est pas non plus comme si je voyais pour la dernière fois mon père. Il partait emménager à la Nouvelle Orléans, c'était seulement à quelques heures de Woodville, rien de plus. Et puis comme je l'ai dit, ma mère avait besoin de moi, du moins c'est ce que je pensais.
En effet, quelques mois seulement après leurs divorce, alors que je rentrais plutôt de l'école, j'entendis des bruits étranges chez moi. « Maman ?! C'est moi je suis rentrée ! ». C'est à ce moment là que le silence fut total pour finalement voir ma mère descendre les escaliers tout juste quelques secondes après. C'est limite s'il elle n'était pas rouge de honte et qu'elle finissait de reboutonner son chemisier, le souffle court encore surpris de la présence de sa fille à la maison. « Chérie ? Mais.. mais qu'est-ce que tu fais ici ? Tu n'avais pas cours normalement ? », me questionna-t-elle d'une voix fluette. Quelque chose semblait la tracasser mais je fis mine de ne rien avoir remarquer pour l'instant. « Si mais Madame Winckle est tombée malade et ... ». Je n'eus pas le temps de finir ma phrase que déjà un homme légèrement plus vieux que ma mère venait d'apparaître derrière elle. Lui aussi semblait quelque peu mal à l'aise mais tentait de ne pas le montrer. En tous cas c'était raté. « Eh salut Miss ! Tu te souviens de moi ? ». Mon regard inquisiteur en disait long sur ce que je ressentais, c'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles celle qui m'avait mis au monde préféra intervenir. « C'est Paul Hunter, tu sais ... ». Mais je ne lui laissai pas l'occasion de terminer. Je ne voulais pas. « Le meilleur ami de Papa oui je sais ». Ma phrase venait de jeter un froid glacial dans la maison. « Oui … c'est exacte … j'étais en train de lui faire visiter notre maison », bégaya-t-elle quelque peu prise au dépourvu. « Et oui ! T'as Maman a beaucoup de goût ma petite ». Ma petite ? Sérieusement ?! J'avais 14 ans et pas 6 ! J'étais à deux doigts de me jeter sur lui, refermant fermement ma main sur la rampe de l'escalier pour m'empêcher de faire une bêtise. La tension était palpable bien que Paul fasse comme si de rien n'était. « C'est ce que Papa disait toujours en effet ». Ces mots étaient sortis tout seul, je n'avais pas pu les retenir et dans un sens je ne le regrettais pas. Malgré mon jeune âge j'avais très bien compris que le meilleur ami de mon père et ma très chère mère, pour qui j'avais mis mes sentiments de côté, étaient en train de s'envoyer en l'air à l'étage et que je venais malencontreusement de les déranger en pleine action. Je ne voulais plus entendre un nouveau mensonge.
Le soir même je préparais un sac de voyage et attendit le lendemain matin pour prendre le premier train à destination de la Nouvelle Orléans. Je n'avais pas vu mon père depuis qu'il avait quitté la maison. Je sais que c'était complètement inconscient de ma part et terriblement dangereux ; mais j'avais besoin de lui plus que jamais. Je disparu donc de chez moi un matin d'Octobre laissant, pour la rassurer, une lettre écrite par mes soins. Après plusieurs heures à voir défiler des milliers de bâtiments différents j'arrivai enfin à destination. Je pris un taxi avec l'argent que j'avais économisé et donna l'adresse de mon père écrite sur un bout de papier. J'étais tellement heureuse de pouvoir enfin le retrouver que j'avais presque failli oublié mon sac dans la voiture. Malheureusement il arrive parfois que la vie prenne un tout autre tournant, que rien n'aille comme on l'avait prévu. Et ce jour là était encore un témoignage de cette maxime. A peine avais-je franchi la porte qui n'était pas verrouillée que déjà une horrible odeur m'imprégnait les narines. Avançant avec prudence, toutes les fibres de mon corps tremblaient à l'idée de ce que j'allais trouver. Au moment où je parvenais enfin dans le salon, la désagréable senteur s'intensifia de plus bel et mon sang ne fit qu'un tour lorsque mes yeux se posèrent irrémédiablement sur le cadavre de mon père baignant dans un flot d'alcool et de vomie.
Comment vivre une existence tout à fait normal après avoir passé près de trois jours dans un appartement avec le corps de votre père en décomposition, tout ça parce que vous aviez dépensé tout ce que vous aviez pour le rejoindre ? Trois jours oui, trois jours à m'en vouloir à un point tel que j'avais plus d'une fois frappé dans les quatre coins des pièces ou pleurer jusqu'à ce que plus aucune larme ne puisse s'écouler de mes yeux aussi secs que le désert du Sahara. Si j'avais d'abord fait passer mon bonheur avant celui de ma mère qui elle n'avait pas hésité à remplacer son ex-mari par le meilleur ami de celui-ci quelques semaines après leur séparation, mon père serait peut-être toujours en vie à l'heure actuelle. C'était ma faute. Je pensais avoir fait le bon choix. C'est pourquoi pendant ces 72h je n'avais cessé de haïr ma mère ainsi que moi-même. Mais il faut croire que le fait que je puisse avoir disparu l'avait tout de même inquiété un minimum puisqu'elle signala rapidement ma fuite. Les policiers ne tardèrent pas à retrouver ma trace. Une chance encore parce qu'il y a fort à parier que j'aurais rejoint le triste sort de mon père. Enfin une chance … pour les autorités et celle qui m'avait donné la vie parce que pour moi je ne pourrais pas aussi bien le dire. En effet, durant ces trois jours interminables, quelque chose en moi avait changé, une chose terrible qui n'était pas prête à repartir de si tôt. C'est comme si depuis ma naissance elle avait cherché à se manifester et voilà qu'elle avait profité de cette brèche pour enfin se faufiler au sein même de mon esprit.
Les semaines et les mois qui suivirent on me bourra de cachets et d'antidépresseurs pour me faire oublier tout ça. Ma mère disait que c'était pour me soigner mais comment voulez-vous guérir d'une chose pareille ? On ne peut pas, c'est tout. Une fois mon soit disant traitement fini - d'après les médecins - je me mis à en rechercher, toujours plus, afin de rester dans cet état second qui me procurait le peu de plaisir que je pouvais ressentir. C'est ainsi que je me mise à coucher pour de l'argent et à faire de plus en plus n'importe quoi. Cette odieuse attitude selon ma génitrice la poussa à me faire interner, pour bien évidemment d'après elle. Bon je pense aussi que d'avoir séduit son nouveau mari et qu'elle nous ait surpris dans la cuisine tandis qu'il me prenait en levrette a dû la convaincre définitivement. « Faut croire que tu le satisfaisais pas assez si bien qu'il a préféré se tourner vers plus jeune que la vieille fripée qu'il voit tous les jours en se levant. Et dire que t'as lâché papa pour ça !.. ». S'en est suivi une gifle monumentale bien cherchée de sa part et en deux temps trois mouvements, voilà que je me retrouvais internée en hôpital psychiatrique. Les années passèrent et au lieu de m'en sortir, je m'enfonçai lentement mais sûrement dans une folie plus poussée, une psychopathie amplifiée qui poussa l'établissement à prendre des mesures draconiennes parfois à mon encontre. Il faut dire aussi que me taper une partie de l'équipe médicale, le vol, la violence, la manipulation où les tentatives de fuite avaient fini par avoir raison de moi. Mais alors que je me voyais finir mes jours à avaler leurs petites pilules répugnantes, le chaos se répandit sur l'ensemble de la planète. Les monstres de George Romero avaient fini par devenir réalité. Cool ! Une chance pour moi car au cours de l'attaque de l'hôpital, j'en profitais pour égorger l'un de mes geôliers avant de me carapater avec un petit groupe de survivants dont un patient que j'avais pour habitude de croiser dans les couloirs. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il m'avait toujours intéressé mais Sully était du genre sainte ni touche. C'était d'autant plus marrant de lui faire du rentre dedans. Cependant, une fois de plus le destin en avait décidé autrement et je me retrouvais séparée de lui avant de finir par arriver aux alentours de Greenville où je fus recueillie par un camp de survivants qui accepta bien vite la timbrée sanguinaire que j'étais devenue.