Ma vie avant l'épidémie? Tout est tellement diffèrent aujourd'hui que j'ai du mal à me dire qu'il y a eu un avant. Ça semble si loin pourtant il y a encore deux ans personnes n'aurait cru que le monde tomberait dans ce chaos. Rassemblant mes souvenirs j'essaie de me rappeler celle que j'étais avant...
J'ai vu le jour un 12 mai à Boston. J'y ai passé toute mon enfance et une partie de ma jeunesse, entourée de mes parents et de ma jeune sœur Alyssa. Notre père étant procureur et notre mère avocate, notre famille était aisée mais nous voyions très peu nos parents. N'ayant que deux ans d'écart avec ma sœur, je passais la plupart de mon temps avec elle. Nous fréquentions la même école privée, nous avions le même cercle d'amis, les mêmes loisirs... En fait il était rare de nous voir l'une sans l'autre même si nous étions très différentes toutes les deux. J'étais enjouée et extravertie. Alyssa elle était plus timide, réservée et douce. C'était ma petite sœur et je prenais mon rôle d’aînée très au sérieux veillant sur elle comme sur mon petit trésor.
En grandissant chacune de nous suivit sa voie. J'étudiais la médecine comme je l'avais toujours souhaitée. Alyssa elle se passionnait pour l'art et rêvait d'enseigner afin de partager sa passion avec le plus grand nombre. Même si nous ne passions plus autant de temps ensemble nous faisions le maximum pour nous voir le plus souvent possible. Comme ce fameux soir que j'aurais tant aimé effacer. Des brides de cette soirée reviennent encore me hanter certaines nuits. Une fête. De la musique. Des éclats de rire. De l'alcool. Beaucoup trop. Moi au volant. Alyssa sur le siège passager. Une vitesse excessive. Un feu qui passe au rouge. Un cri qui s'échappe des lèvres de ma sœur. Un choc. Puis plus rien... Je ne me suis réveillée que deux jours plus tard dans un lit d'hôpital et j'appris qu'Alyssa elle n'avait pas survécu. Ma petite sœur était morte à cause de moi.
Depuis lors j'avais tenté de vivre du mieux que je le pouvais avec ce poids sur les épaules. Je poursuivis mes études de médecine et décidai de faire mon internat à Atlanta. Il m'était impossible de rester à Boston où le souvenir d'Alyssa hantait chaque coin de rue, de soutenir une minute de plus le regarde pleins de reproche de mes parents. Je pris alors la fuite tout simplement. Mais je n'ai jamais pût échapper à la culpabilité qui me rongeait de l'intérieur . Les seuls moments où je parvenais à oublier un peu ma peine étaient lorsque je soignais mes patients. Je me plongeai alors corps et âme dans mon travail, ne comptant plus les heures et mettant ma vie privée de côté. Je ne sais pas vraiment ce que je cherchais en faisant ça. À me racheter une conscience en jouant les sauveuses? Peut-être mais de toute façon ça n'a plus vraiment d'importance désormais...
Quoiqu'il en soit ma vie se poursuivit, les jours se ressemblant, les années passant l'une après l'autre. Ma vie sociale se limitait à mes collègues et aux patients que je soignais. Il m'arrive encore de voir le visage de certains d'entre eux et de me demander s'il y a un infime espoir que quelques-uns soient encore en vie. Il y avait Truth, la petite infirmière avec qui j'aimais parler de tout et de rien et dont le sourire me réchauffait le cœur. Je crois qu'au fond sa douceur et sa fragilité me rappelaient Alyssa. Il y avait aussi Matthew, Barbara, Pete, Cassie, Alex, Taylor... Tant de gens que je ne reverrai sans doute jamais.
Ils étaient pourtant tous de service ce fameux jour de novembre, tout comme moi. Nous avions tous levé les yeux en entendant la porte s'ouvrir à la volée pour laisser passer un brancard. Un homme ensanglanté y reposait, des morceaux entiers de chair lui avaient été arrachés, sans doute par un animal. Chacun de nous avait alors pris son poste et fait de son mieux pour tenter de stopper le flot de sang qui jaillissait de ses blessures. Nous avions tous eu le même instant de flottement lorsque l'urgentiste accompagnant le patient déclara que c'était un être humain qui avait attaqué ce pauvre homme. Oui nous étions tous au même endroit lorsque le monde tel que nous le connaissions vola en éclats.
Malgré tous nos efforts, l'homme décéda à peu de temps après son arrivée dans nos services. Et avant même que nous ayons pu comprendre ce qui se passait des dizaines de cas similaires avaient envahi l'hôpital. Les gens mouraient les uns après les autres sans que nous ne puissions rien y faire et le nombre de blessés ne cessait d'augmenter. Une hystérie collective semblait croître de minute en minute et une rumeur folle se répandit dans les couloirs comme une traînée de poudre. C'était les morts qui s'attaquaient aux vivants. Même si je savais pertinemment que quelque chose n'allait pas, je n'eu pas le temps de me poser plus de questions, trop occupée à passer d'un patient à un autre.
Je ne sais plus si seulement quelques minutes s'étaient écoulées ou au contraire plusieurs heures quand un cri déchirant résonna dans les locaux. La tête de chaque personne présente, la mienne comprise se tournèrent au même instant pour voir une scène toute droit sortir d'un film d'horreur. L'une des infirmières était au sol et se faisait attaquer par un homme qui aurait dût être mort. Un trou béant se trouvait dans sa poitrine et pourtant il bougeait encore déchiquetant férocement la pauvre femme. Elle essayait vainement de le repousser, hurlant de douleur et appelant à l'aide. Un homme tenta d'éloigner cette... chose d'elle mais elle se retourna contre lui planta ses dents dans sa chair. Tout le monde se mit alors à paniquer et à se ruer vers la sortie. On criait, on pleurait, on se bousculait, on piétinait les malheureux qui étaient tombé au sol. Prise dans la foule je réussis tant bien que mal à sortir de ce cauchemar pour constater que c'était l'Enfer qui régnait dehors.
C'était le chaos peu importe où je posais les yeux. Des corps en partie dévorés gisaient un peu partout. Certaines personnes agonisaient encore. D'autres c'étaient faites pigées par ces créatures, se défendaient du mieux qu'elles pouvaient ou avaient réussi à leur échapper et à s'enfuir en courant. J'étais totalement hébétée, figée devant ce spectacle atroce. Je n'arrivais tout simplement pas à croire ce que je voyais. Pourtant les hurlements, le bruit de la chair qu'on arrachait, l'odeur du sang qui flottait dans l'air, tout cela était bel et bien réel. Lorsque l'un de ces morts-vivants leva sa tête ensanglantée vers moi, qu'il me regarda de ses yeux vides en poussant un râle menaçant seule la peur força mes jambes à prendre la fuite.
J'ai couru sans m'arrêter, sans me retourner une seule fois laissant les gens derrière moi, ignorant leurs cris désespérés. Je ne pensais qu'à rejoindre ma voiture au plus vite. Par chance elle était toujours garée sur le parking réservé au personnel de l'hôpital. Je m'engouffrai dedans sans demander mon reste et dû m'y prendre à plusieurs fois pour pouvoir mettre le contact tant mes mains tremblaient. Quand je put enfin démarrer je pris une direction sans vraiment réfléchir où aller. Je voulais juste m'éloigner le plus possible de l'hôpital, le plus possible de ces monstres. Machinalement je pris la direction de chez moi. Sur la route j'allumai la radio. Le même message y était diffusé en boucle. Ne sortir de chez soi sous aucun prétexte. Mais après ce que j'avais vu hors de question de rester sur place à attendre que les morts-vivants viennent gratter à ma porte. Une fois arrivée je pris un sac et fourrai tout ce qui aurait pu m'être utile. J'entassai vêtements, médicaments, nourritures, tous ce qui me tomba sous la main avant de reprendre la route.
J'eus beaucoup de mal à sortir de la ville. Les centaines de personnes fuyant Atlanta comme moi avec leur véhicule avaient totalement envahi les routes. On avançait peu pour ne pas dire pas du tout. Je ne pouvais que prendre mon mal en patience et j'appelai mes parents pendant ce temps. J'essayai encore et encore sans obtenir la moindre réponse. L'idée qu'ils puissent avoir été attaqué eux aussi à Boston me fit frissonner. Mais je refusais de trop y penser. Céder à la panique n'aurait absolument servi à rien.
La nuit finit par tomber et certaines personnes s'organisèrent afin de s’entraider. En tant que médecin je fis de mon mieux afin de me rendre utile moi aussi et comme toujours m'occuper me vida l'esprit et me calma peu à peu. Je sympathisai avec certaines personnes et je finis par décider de continuer ma route avec eux. Lorsque nous nous rendîmes compte que toutes les villes étaient infestées nous décidâmes d'installer une sorte camp dans un hôtel abandonné en attendant de trouver mieux. Puis les jours passèrent l'un après l'autre, puis les semaines. Nous sommes restés au même endroit se sentant protégés par les murs de l'ancien établissement. Seuls quelques rôdeurs comme on finit par les appeler venaient s'aventurer de temps en temps aux portes mais nous n'avions aucun mal à s'en débarrasser. Nous croyions être à l'abri, nous pensions pouvoir continuer à vivre ainsi le temps qu'il faudrait mais nous nous trompions.
Un jour un autre groupe de survivants nous attaqua. L'affrontement fut violent et beaucoup de personnes furent tuées, d'autres surtout les femmes violentées. J'ai réussi à leur échapper de peu sans subir trop de dommage mais je dus une nouvelle fois tout abandonner derrière moi. J'ai marché pendant plusieurs jours seule à la recherche de quoi manger quand je tombais un matin sur une tente isolée et une voiture un peu plus loin. Il y avait de la nourriture dans celle-ci ainsi qu'un couteau. Voulant saisir cette chance j’essayai de voler la voiture mais en voyant du mouvement dans la tente je ne pris pas le risque de me retrouver à nouveau face à quelqu'un et m’enfuis en emportant avec moi que le sac de nourriture et un couteau que j'avais trouvé à l'intérieur.
Je vivais comme ça désormais. J'évitais les autres survivants avec presque autant de crainte que les rôdeurs. Les gens étaient devenu des loups s'attaquant aux plus faibles pour leur prendre le peu qui leur restait. Je n'étais pas beaucoup mieux. Dès que je le pouvais je volais tout ce qui pouvait m'être utile allant certaines fois jusqu'à fouiller les cadavres. Quand les jours se faisaient plus courts et le temps plus froid je trouvais des maisons isolées pour me mettre à l'abri quelque temps. J'ai essayé de nombreuses fois de prendre la route pour aller à Boston tenter de retrouver mes parents mais à chaque fois je dus rebrousser chemin soit à cause des rôdeurs, soit des pillards, soit des ressources qui me manquaient. À présent je cherche uniquement de quoi survivre, un peu de nourriture, d'eau et un endroit où dormir en sécurité. Je ferais la même chose demain, puis le jour d'après ne sachant pas si je survivrai encore longtemps à ce monde.
Ce que je ne savais pas c'est que j'allais bientôt recroiser la route des pillards.