HELP ME.
Quand il frappa à sa porte, Clémence sut immédiatement que rien n'allait. Sur le torse nu de l'enfant, des confettis ensanglantés se collaient, faisant comme des milliers de petits trous menant tout droit en enfer et la crinière rousse qu'il devait arborer avait disparu pour laisser place à une grande plaie dont les contours étaient saupoudrés de terre. " Euhm, he...hello ? " Le seul vocabulaire anglais de la jeune française venait de jaillir de sa bouche en tremblant pour s'écraser sur le visage du garçon, un visage dont les os ressortaient tels des pieux qui tueraient ceux qui oseraient s'approcher trop près. La panique colonisait les yeux noisette de l'inconnu, pourtant, il était aussi raide qu'un mannequin dans une vitrine. Enfaîte, il en était un, mannequin, et derrière lui s'étendait le décor dans lequel il prenait la pose. Un décor moucheté de gens affolés, qui courraient tellement vite qu'ils en tombaient, mais certains traînaient en faisant un bruit que Clémence n'avait jamais entendu auparavant. " Can you help me, please ? " La voix étonnamment grave de l'inconnu se glissa dans les oreilles de la jeune fille et piqua son cœur. Même si elle ne comprenait pas grand chose à ce qu'il disait, le ton implorant du garçon faisait des étincelles dans son corps. Elle ne savait pas quoi répondre, quoi faire, mais quand le garçon jeta un coup d’œil paniqué vers un homme imposant qui arrivait vers lui en boitant et qu'il la poussa presque pour aller à l'intérieur, elle le laissa rentrer et referma la porte avant que l'homme n'entre à son tour. Elle était seule dans cette grande maison remplie d'objets à l'effigie de l’Amérique, le matin frais avait attiré ses parents et son frère à l'extérieur pour une petite balade et pour découvrir les environs pendant qu'elle préférait la chaleur du lit et que son portable vibrait en affichant le nom de son correspondant qu'elle avait hâte de rencontrer. Le regard de Clémence quitta la froideur de la porte et l'incompréhension extérieure pour la chaleur de la pièce, pour la panique bouillonnante du garçon, qui lui, s'était assis sur la chaise la plus proche. " Help me, please ! " Elle ne comprit pas grand-chose encore une fois, mais elle devina ce qu'il voulait dire quand il retira sa ceinture et baissa son pantalon pour dévoiler au grand jour des marques de morsures profondes qui ornaient sa maigre cuisse. Clémence s'avança, jusqu'à pouvoir voir de plus près les fissures du rocher et pour voir si elle pouvait les boucher pour rendre au rocher sa beauté initiale. " Ton chien n'est pas allé de main morte " Bien sûr qu'il ne comprenait pas, elle l'avait fait exprès pour briser le bruit incessant de sa respiration, le bruit de ses poumons qui claquent, le bruit de la mort qui plane. Parce que ce n'était pas un chien qui avait planté ses dents dans le maigre bout de graisse de cette cuisse, parce qu'un chien n'aurait pas emporté la moitié de la peau avec lui, parce qu'un chien n'aurait pas rendu les yeux du garçon aussi rouge que le sang qui s'écoulait de sa tête. Non, c'était autre chose, mais elle ignorait quoi. Elle se leva pour arpenter la maison, elle n'avait pas eue le temps de tout explorer et la veille, lors de son arrivée, elle avait directement côtoyé le lit de la chambre du fond, à l'étage, car le voyage en avion l'avait épuisé et que la peur constante d'un crash l'avait rongé jusqu'à la fin. C'était la première et la dernière fois qu'elle prenait l'avion, elle avait quitté la France pour ne plus y revenir et quand elle retrouverait son correspondant, elle partirait avec lui faire le tour du monde à pieds. Quitter ces parents trop protecteurs, trop à cheval sur les règles, avec qui la perfection est reine était l'un des désirs le plus profond de la jeune fille. Elle avait déjà pensé à son seul et unique frère qui comptait beaucoup pour elle, au départ, l'emmener était une des solutions, une solution bien vite effacer des tableaux. Et puis elle s'est dit qu'ils allaient le faire tous les deux et son ancienne vie serait rayée, déchirée puis brûlée par les flemmes qui danseraient dans leurs yeux. Mais pour l'instant, elle se retrouvait là, seule avec cet inconnu aux blessures irréversibles, tentant de trouver une foutue salle de bains, pour trouver des foutus médocs qui ne serviront que de décoration dans cet enfer qui dormait dans la jambe du garçon au crâne effroyablement raturé, aux cheveux manquants qui traînaient sans doute entre les pieds des passants à l'extérieur. Ouvrir les portes une par une, tomber sur trois chambres en désordre, sur des toilettes impeccablement nettoyées, sur une salle vide aux murs tachés de moisissures, puis tombé sur une porte fermée à clé, le tour fut vite fini pour Clémence. " Et puis merde, il ne pouvait pas rentrer chez lui pour que sa petite maman le soigne ? Pourquoi ici ? Voilà qu'elles commencent bien mes 'vacances'. " Clémence était toujours en vacances depuis que l'école s'était arrêtée pour elle, les livres brûlés, les feuilles déchirées et rangées dans une boite enterrée six pieds sous terre en compagnie du vieux hamster Proust, elle n'avait plus rien avoir avec l'école. Ses "amies" avaient suivi le même chemin qu'elle, mais elles étaient restées en France, dans leur campagne, de la boue jusqu'aux genoux et des poussins piaillant dans leurs oreilles à longueur de journée tout ça pour leurs petites familles chéries qu'elles ne voulaient pas abandonner. Alors, Clémence leur a dit poliment d'aller se faire voir, parce qu'elles n'étaient que des filles à papa, qui passaient leur temps à aduler un groupe de chanteur aussi chiant qu'un film en noir et blanc et elle est partie. " Quelles connasses. " Marmonna Clémence en se remémorant les moments falsifiés passés avec elles. Puis, elle jeta un coup d'œil par-dessus la rambarde de l'escalier, mais elle ne vit que les pieds immobiles du garçon et n'entendit qu'une petite respiration saccadée provenant de ce corps composé que d'os inutiles. " Oh moins, il est tranquille. Paul ne serait pas comme ça. " Son frère, à même vingt-deux ans, chouinait quand il s'égratignait quelque chose et s'évanouissait à la vue du sang. Clémence soupira et se décida à attaquer la porte close, mais regarda par la serrure pour voir l'intérieur pour être sûre, elle ne vit qu'un sol carrelé, taché de rouge et se dit que la salle de bains était forcément là. Alors elle prit de l'élan et s'élança, mais physiquement pas assez forte, ne réussit pas à défoncer la porte comme dans les séries policières. Elle se cogna la tête et les tambours se mirent à jouer, de plus en plus fort et ils devenaient de plus en plus agressifs. Des étoiles dansaient devant ses yeux, oh mes copines les étoiles, elles clignotaient lentement pour elles activèrent le turbo. Avant qu'elles ne s'éteignent complètement, Clémence entendit un bruit en bas, des bruits de pas, puis une voix grave s'éleva dans les airs pour voler jusqu'à elle. " No noise ... zombies outside... " Puis un bruit de chute et la mort se mit à gravir les marches.HE'S DEAD !
Clémence se crut en Afrique avec tous ces tambours qui résonnaient dans sa tête, leurs sons rebondissaient douloureusement sur les parois de son crâne et elle ne voulait pas ouvrir les yeux, pas maintenant non, elle ne pouvait pas. Alors, elle fouilla dans ses souvenirs pour trouver quelque chose de positif qui pourrait éventuellement calmer son mal de tête infernal. Mais elle enclencha par erreur le film de sa vie et vu défiler son enfance à la campagne, avec les nombreuses poules qui s'échappaient en courant sur son passage, les chevaux qui baissaient la tête pour qu'elle les caresse, puis elle vit sa petite soeur lui brossait les cheveux et elle la vit fermer les yeux et elle ne les ouvrit plus. Des orgues s'élevèrent pour épouser l'air, l'image de sa petite soeur s'éteignit pour laisser place à un autre décor représentant une église où des dizaines de personnes pleurées sur des bancs. Un cercueil trônait près de l'autel, il était peint entièrement en rose, sa couleur préférée, puis il s'effrita et les lettres C A N C E R apparurent comme par magie. Le film se déchira et la pellicule de rechange se lança. Clémence vit son premier amour s'élançait du haut d'un pont pour retomber plus bas encore que la surface de l'eau, elle entendit résonner les cloches de l'église et vit son frère sortir au bras d'une jolie blonde au ventre arrondi. Ils s'évaporèrent et ses parents vinrent troubler le décor, ils hurlaient, il la frappait, puis il a pris sa voiture et tout devint noir. Une odeur épouvantable lui agressa les narines, une odeur de décomposition, puis elle sentit deux mains sur son bras. Et elle ouvrit les yeux et rencontra, pour la première fois, la mort en personne. " Putain, mais c'est quoi ça ? " Elle recula en donnant un coup de pied dans la jambe du garçon, qui maintenant grognait et qui dégageait une odeur de mort. " Il est mort Clémence, c'est pour ça. Mais pourquoi il vit ? " Mais elle comprit et elle défia la mort.