Comment est-ce qu'on annonce à une enfant de 5 ans qu'elle est orpheline ? Elle est assise, les pieds ballant dans le vide, au bord de l'ambulance, une secouriste s'occupe de lui nettoyer la méchante plaie au front pour déterminer si la blessure nécessite une hospitalisation ou non, quant à son collègue elle s'occupe d'ausculter et apaiser un bébé qui n'a de cesse de pleurer. L'inspecteur s'interroge en passant une main lasse sur son visage, il devrait sûrement laissé les services sociaux annoncer le décès des parents à la fillette et prendre en charge leur avenir. A la voir ainsi serrer son doudou entre ses bras et le regard hagard, il n'a pas le courage de le faire. Les pompiers quant à eux, se chargent encore d'extirper les corps de la carcasse de la berline, la mère était encore vivante lorsqu'ils étaient arrivés sur les lieux de l'accident, elle avait ordonné qu'ils sauvent ses enfants avant de lâcher son dernier souffle, d'après les secouristes il n'y avait qu'une chance infime qu'elle ait survécu à cet accident, seuls la petite fille et le nourrisson avaient survécus à l'impact, que parce qu'ils étaient à l'arrière. A quelques mètres de là les secouristes s'occupaient des passagers de l'autre véhicule, le conducteur était mort sur le coup et l'odeur flottant dans l'habitacle ne laissait que peu de possibilités quant à la cause de l'accident, des jeunes ivres contre une famille qui rentrait probablement chez eux. Pourquoi faut-il toujours que les innocents soient les victimes de l'inconscience des autres ?
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« Ravie de te revoir parmi nous Gavin » Sans un mot vers la gestionnaire des lieux, l'adolescente entre dans le bâtiment et se dirige directement vers les cuisines. Ça fait trois ans qu'elle vient régulièrement au refuge, soit elle n'y fait rien, se contente de passer le temps loin de chez elle, soit elle est d'humeur à vouloir rendre service et se dirige vers les lieux de l'activité qu'elle préfère, la cuisine. Parfois il arrive qu'elle aille voir la psychologue, d'autres fois elle allait trouver les dealers du coin et s'offrait, avec de l'argent voler, de quoi oublier momentanément la douleur que lui avait causé son père adoptif la veille. Ce jour-là Gavin n'avait qu'un hématome déjà presque résorber sur la joue et elle ne boitait plus sous la douleur de ses côtes, les gérants des lieux avait beau lui poser des questions elle racontait toujours des mensonges, de toute façon sa mère adoptive refusait catégoriquement de porter plainte malgré les fréquentes visites des policiers alors que pourrait faire de plus le refuge pour elle ? A 15 ans, elle n'avait pas l'intention d'être adopté une seconde fois, elle préfère encore passer tous son temps hors de leur appartement, que ce soit pour traîné dans les rues ou au refuge lorsqu'elle est d'humeur sociable.
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« Où veux-tu que nous l'installions ? » Depuis la chambre de Nina avec qui elle joue à la poupée elle peut presque entendre les messes basses partagés depuis le salon. Ce n'est pas la première fois qu'elle vient chez les Broderick, mais c'est la première fois que Gregor lui a proposé de venir s'installer chez eux, et elle avait accepté.
« Tu préfères la laisser dormir sous les ponts? Ou encore se faire battre par son père ? » A l'âge de 17 ans la jeune fille avait encore une fois fuguer de son domicile, la situation était devenue insupportable et elle supportait d'autant moins que sa mère adoptive ne fasse rien contre son bourreau de mari. Ça fait 2 ans qu'elle connaît le pompier, depuis qu'il était intervenu au refuge, où elle se rendait régulièrement, pour éteindre un feu. Elle ne l'avait pas laissé approcher, ne lui avait pas même adresser la parole et montrer insolente face à son insistance à vouloir l'aider et pourtant il avait fait preuve de suffisamment de patience pour la sortir de son mutisme et obtenir d'elle une réponse sincère et la faire soigner auprès de ses collègues. Depuis ils s'étaient revus, elle le considère aujourd'hui comme le grand frère qu'elle n'a jamais eu et la veille il lui avait proposé de venir vivre avec eux, sa femme et leur fille.
« Bien sûr que non, mais tu ne peux pas ramener à la maison tous les orphelins que tu croises ! » Elle ne put entendre la suite parce que Nina lui parlait de sa poupée et l'invitait à boire le thé, mais pour ce qu'elle en savait Gavin était la seule orpheline qu'il ait ramené chez lui.
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« J'ai reçu ma réponse ! » Surexcitée et aussi extrêmement nerveuse Gavin brandit l'enveloppe devant elle pour la confier à Gregor, il lui est impossible de l'ouvrir, une expression mutine sur le visage il l'observe.
« Oui. Et bien ? » Il ne fait pas mine de vouloir récupérer l'enveloppe, il va même jusqu'à récupérer son nourrisson de fils des bras de sa femme pour le nourrir.
« Tu vas me laisser l'ouvrir hin ? » Il hoche la tête, avec le temps et la proximité de leur cohabitation elle commence à bien le connaître, quant à sa femme elle pose ses mains sur les épaules de la jeune fille pour la soutenir, vers cette dernière elle tourne un regard implorant, mais elle secoue la tête.
« C'est à toi de le faire ma chérie. » Résignée et extrêmement nerveuse, elle n'a pas d'autre choix que d'ouvrir l'enveloppe de ses mains tremblantes et d'en parcourir le contenu, finalement c'est avec un immense sourire qu'elle termine sa lecture.
« Mademoiselle Bradley c'est avec plaisir que nous vous annonçons votre admission à l'académie des pompiers... » Nina fut la première à se précipiter dans ses bras pour lui donner ses félicitations, heureuse comme jamais Gavin la sert contre elle sous le regard fier de Gregor et les embrassades d'Erica.
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« Toutes mes félicitations pupuce. » Vêtue de son uniforme elle se raidit, elle n'a pas besoin de se retourner pour connaître exactement la personne qui lui présente des félicitations et aussitôt elle cherche Gregor du regard, les Broderick étaient venus à sa remise de certificat de secouriste pompier, mais ce dernier était occupé ailleurs, avec un autre diplômé. Raide comme un piquet elle se retourne vers son père, il ne sourit pas, mais elle reconnaît cette lueur qui annonce à l'avance que la situation allait dégénéré, de plus il empestait l'alcool à plein nez. La dernière fois qu'elle l'avait vu c'était 6 ans plus tôt lorsqu'il avait une fois de trop lever la main sur elle et qu'elle avait accepté la proposition de Gregor. Son père n'avait jamais osé contester ce fait, c'était un lâche et il savait qu'il ne faisait pas le poids face au pompier, face à plus fort il se tait, elle le sait, et pourtant elle reste encore terrorisé par cet homme.
« C'est pour ça que tu es partie ? Tu as abandonné ta mère, ma femme, pour aller vivre le grand amour avec cet homme là ? Et sa femme qu'est-ce qu'elle en pense ? » D'un geste dédaigneux il désigne Gregor du menton, la jeune femme jette quelques coups d'oeils aux alentours pour s'assurer qu'aucun n'est témoin de cette scène.
« Pompier hein ? Depuis quand les femmes peuvent être admises dans ce monde-là ? » Sa voix est emplie de haine, son haleine chargée d'alcool et son regard hagard.
« Tu ferais mieux de rentrer à la maison ! » ajoute-t-il en l'empoignant par le coude. Prise d'une impulsion soudaine, son autre main se lève toute seule pour venir gifler la joue de son soi disant père, c'est bien la première fois qu'elle ose se débattre et rendre les coups et elle ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. D'un mouvement brusque elle se dégage de la poigne de son père, autant choqué qu'elle de sa rebuffade.
« Approche toi encore une fois de moi et ce ne sera pas une gifle que tu recevras. Que ce soit clair, je n'ai plus rien de la pauvre gamine paumée d'antan, tu n'as plus aucun droit sur moi. » Elle se montre d'une fermeté à toute épreuve, elle dit vrai, elle n'est plus paumée, elle a trouvé une famille et elle sait désormais faire preuve de caractère. Leur regard se croisent, il n'est plus temps de dévier, elle voit très bien que sa fierté est mise à mal et qu'il a l'intention de la récupérer, mais il détourne soudain le regard par-dessus son épaule, ses lèvres et ses poings se crispent, après quelques secondes il fait demi-tour. Une fois parti, elle se retourne pour trouver Gregor dans son dos et constate que plusieurs paires de yeux ont été témoin de la scène. Elle garde la tête haute même si elle n'a qu'une envie, laisser son corps trembler son soûl pour évacuer la tension des dernières minutes.
« J'ai l'honneur de t'annoncer que ta candidature a été acceptée dans ma caserne. Bienvenue dans la caserne 32 ! » Elle sourit et se précipite dans ses bras pour le remercier. Le sujet est clos, elle tourne une nouvelle page de sa vie.
De nos jours.
« Dieu nous punis ! » Gavin observe d'un oeil impérieux le fanatique religieux.
« IL nous envoie des démons, IL s'est associé à Satan pour récupérer sa terre que vous avez détruite ! » Le bruit d'une détonation donne des acouphènes à Gavin qui se trouve juste à côté du religieux, dont le sang éclabousse les murs et en partie elle aussi. Elle n'entend rien de ce qui se passe, mais elle peut parfaitement voir que la tête du religieux a explosé sous l'impact de la balle tirée à bout portant, elle tourne la tête et regarde le visage du tireur. Comme si de rien n'était ce dernier range son arme dans son étui et observe d'un oeil morne les autres survivants, ceux là semblent en pleine panique, leurs bouches s'ouvrent sur des paroles et des cris qu'elle n'entend pas, probablement le prennent-ils pour un contaminé puisqu'ils se mettent tous à le rouer de coup avec la première chose qui leur tombe sous la main. C'est le genre de situation auquel il faut s'attendre lorsque des inconnus survivent à la même chose, chose dont ils ignorent tout, sauf qu'ils ne doivent pas être en contact avec eux. Elle a croisé ses survivants une semaine auparavant et fait un bout de chemin avec eux, elle aurait mieux fait de s'abstenir, il est impossible d'être en accord, le moindre accroc est sujet à des discordes disproportionnés. Mais lui, il les avait rejoint deux jours auparavant est déjà il abattait un homme, certes irritant, mais il ne méritait pas la mort pour autant. Un nouveau coup de feu est tiré, cette fois il est temps pour elle de tirer sa révérence.
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Une pierre dans la main elle la lance dans l'air avant de la rattraper, elle recommence, encore et encore. Assise, le dos contre un tronc d'arbre elle se laisse aller quelques minutes, elle n'a pas le temps de rester là, pas le temps de se reposer malgré son épuisement. Ça fait plus de 32 heures qu'elle n'a pas dormi, ni même somnoler, aux aguets, prête à déguerpir au moindre bruit suspect, faire des gardes de 24 heures c'était du gâteau à côté de ce qu'elle vit à l'heure actuelle, elle n'a jamais vécu quelque chose d'aussi intense que survivre contre ses choses. Une semaine, ça fait 7 jours qu'elle survit seule depuis qu'elle a quitté son dernier groupe, trop occupé à s'entre-tuer, quoi qu'il en soit elle commence à douter d'elle et de ses chances de survies. Pas seule en tout cas, mais au vu des derniers événements elle doute également de pouvoir survivre dans un groupe qui se méfie de tout le monde.
« On n'est jamais mieux servis que par soi-même » se murmure-t-elle en fixant la pierre d'un air perdue, la voilà qui commence à se parler à elle-même. Gavin renifle de mépris et se redresse, hors de question de laisser ses choses avoir sa santé mentale, vouloir la dévorer est déjà bien assez suffisant, tant qu'elle pourra encore marcher, elle survivra. Le destin décidera du moment de sa mort, mais pas sans qu'elle se soit battue auparavant. Sur sa gauche elle entend un râle ténu, elle tourne la tête pour voir une de ses abominations circuler entre les bois, il se dirige droit vers elle. Son coeur bondit, en même temps qu'elle se remet à courir pour le fuir. Elle sait peu de chose sur eux, mais ce dont elle est certaine c'est qu'elle court plus vite, tout du moins sa foulée est plus longue que la leur.